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Jésus

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Jamais Noël n’aura moins ressemblé à Noël. Chaque année cela empire. A peine à mi-novembre, nous avons déjà droit à l’étalage criard des jouets made in Extrême-orient et, sur nos écrans, à l’abattage des mailings. Paradoxe effrayant - retournement pervers même - que commémorer la naissance d’un pauvre parmi les pauvres, qui au surplus a prêché la frugalité heureuse, soit devenu cette débauche mercantile encourageant une consommation qui, dans des pays lointains, se paye d’esclavage et de souffrances. Je comprends qu’on puisse détester cette pression éhontée: pour ne pas faire différemment des autres, pour ne pas s’exposer à leur jugement, pour ne pas humilier ou peiner ceux que nous aimons, nous voilà conduits à un gaspillage qui, pour beaucoup d’entre nous, dans cette période d’appauvrissement et d’inquiétudes écologiques, ne fait qu’accroître les dilemmes et l’angoisse de la fin du mois. Je comprends qu’on puisse ne pas aimer cette fête alors que les marchands ont repris possession du temple. 

 

les-anthuriums-tableaux.jpgJe vous propose cependant de ne pas rester à la surface des choses. Je reste quant à moi attaché à Noël. A cause de la magie qu’y a trouvée mon enfance, à cause de la tendresse et de la joie qui s’y exprimaient, de la veillée, des plats de circonstance, du sapin qui transformait notre salle à manger. Je reste attaché à Noël pour les chants - ma grand-mère fredonnait «Trois anges sont venus ce soir» - pour la crèche, pour le petit ange de la chapelle qui inclinait la tête en remerciement quand on glissait une pièce jaune dans la fente de son panier... Pour ce qu’il y avait d’atmosphère religieuse encore qui semblait éclairer ce monde d’une lumière d’ailleurs.

 

Revenons aux sources. Noël célèbre l’apparition sur cette Terre d’une voix qui nous parle de l’expérience du divin. Elle a touché le coeur d’autres hommes qui l’ont suivie et, à travers la Diaspora, ont essaimé dans l’empire romain. Là dessus, passée la période des persécutions, il y eut un processus de politisation des populations chrétiennes et une sécularisation de l’Eglise qui, ensuite, alors que ledit empire s’effondrait, s’est trouvée la seule organisation à pouvoir limiter l’implosion de la société. Cette Eglise qui, selon le mot de Frédéric Lenoir, «a la lourde charge de transmettre un message qui la condamne»: au cours des siècles, tandis qu’à vouloir protéger les affaires de Dieu elle épousait de trop près celles de César, elle a enveloppé d’une gangue qui le masque et l’étouffe quelque peu le message initial. 

 

Pour moi, au milieu du déluge actuel d’idéologies, de théories et de logomachies de toute sorte, la grande simplicité de la parole de Jésus fait entrer une lumière aussi douce qu’éblouissante. Jésus est venu apporter une «bonne nouvelle». Il nous invite à lever les yeux des aléas du quotidien pour nous intéresser au mystère vertigineux de l’existence. Il nous dit qu’il y a un bonheur qui se place au dessus de l’accumulation des biens matériels. Nul besoin de chercher une Terre Promise à conquérir. Nul besoin de se hisser parmi les puissants. Nul besoin d’être un prédateur. Au contraire. La Terre promise est à l’intérieur de nous. Il est aussi venu nous dire qu’il ne fallait pas craindre la mort. En rappelant cela, j’entre dans le domaine spirituel. Mais n’y suis-je pas déjà: croire, dans le monde actuel, qu’il existe quelque chose de supérieur à l’abondance matérielle, n’est-ce pas irrationnel, voire le signe d’un dérangement mental répertorié par le DSM ? N’est-ce pas déjà de l’ordre de la foi ? 

 

J’en reviens à la gangue que j’évoquais et que trahit l’iconographie. La bonne nouvelle semble parfois se retourner comme un gant. Par exemple, vous pouvez comparer le nombre des tableaux qui au long des siècles ont mis l’accent sur la souffrance, la crucifixion, la mort et la mise au tombeau avec celui des oeuvres évoquant la résurrection - qui constitue pourtant la finalité de l’histoire. Dans d’autres représentations, Jésus, qui est venu révéler aux hommes l’amour divin et apporter un message de non-violence, qui ne voudra pas un seul instant être autre chose qu'humble et faible, qui tournera le dos au pouvoir, aux biens matériels, aux statuts et acceptera d’être condamné et exécuté, se retrouve comme rattrapé par l’image du dieu des armées qui en fera la bannière des croisades, ou du justicier terrible «qui reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts». Il est venu nous libérer du péché et, peut-être dans une bonne intention, comme on effraye les enfants pour les protéger du danger - peut-être dans une mauvaise afin de  nous asservir - on s’est servi de lui pour nous culpabiliser. Il est venu nous parler de notre liberté et, de son enseignement, on a fait un corset et parfois des chaînes. Il est venu parfaire la loi en la projetant dans l’amour et on a fait le chemin en sens inverse.

 

Notre tendance à jeter le bébé avec l’eau du bain a conduit beaucoup d’entre nous à juger l’ensemble haïssable. Mais, si nous regardons le monde actuel en nous accordant de revenir à l’essence du message christique, ne voyons-nous pas à la fois les maux et le remède ? J’aime Noël. 

Tableau de Janick Lederlé: http://www.janicklederle.fr/les-oeuvres/maternite-et-enfance/


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